Revue eurasienne | 18 mars 2021
Plan quinquennal chinois • Passeport numérique à Singapour • Elections indiennes • Projet lunaire • Finances japonaises
Bonjour et bienvenue dans la Revue eurasienne ! Nous éditons deux fois par mois une newsletter documentée, précise et lisible pour vous informer sur l’actualité de la route de la soie à travers un monocle européen.
PLAN QUINQUENNAL — Le retour des objectifs économiques et technologiques
par Pierre-Adrien Deffis
Une épaisse tempête de sable a accueilli la fin de la grand-messe annuelle du Parti communiste transformant les Pékinois en taïkonautes avant même l’arrivée de la mission spatiale chinoise sur la planète Mars. Ces deux dernières semaines furent l’occasion pour le gouvernement chinois d’ajuster et de confirmer à la marge ses grands objectifs économiques pour les années à venir, notamment avec le lancement du 14ème plan quinquennal (2021-2025).
Pour rappel, les plans quinquennaux ont été instaurés au début des années 1950 lorsque la Chine, ruinée par une vingtaine d’années de conflits armés, cherchait à se reconstruire sous la houlette de l’Union Soviétique en se lançant dans des grands projets industriels. Alors que l’économie mondiale peine actuellement à se relever de la crise sanitaire mondiale, la Chine a réussi à maintenir une croissance presque unique de 2.3% du PIB en 2020 et les experts s'attendent même à une croissance de 8.4% pour l’année 2021.
La tenue des « deux sessions » (两会), rassemblant plus de 5000 délégués, a validé ainsi les grandes lignes directrices de la stratégie de développement économique décidées par Xi Jinping. Alors que le 13ème plan (2016-2020) instaurait le programme Made in China 2025 (中国制造2025) et le renforcement des industries jugées stratégiques, le 14ème plan insiste quant à lui sur la mise en place de la « Vision 2035 » (2035愿景规划) et la transformation numérique du pays. Fier d’avoir éradiqué l’extrême pauvreté en Chine en 2021, le pays ambitionne de devenir une économie moderne, autonome et leader dans le domaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Ainsi, le plan quinquennal met l’accent sur le développement des infrastructures numériques pour soutenir l’objectif de 10% du PIB national généré par l'économie numérique d'ici 2025. Bien entendu, la diffusion de la technologie 5G et la construction d’immenses data centers est au cœur d’une stratégie avec de flux de données toujours plus fluide, notamment grâce au cloud. Les grandes entreprises technologiques du pays que sont Huawei, Alibaba et Tencent seront bien entendu appelées à contribuer à l’effort national.
Alors que la crise des semi-conducteurs fait rage avec les États-Unis, ce nouveau plan quinquennal montre une fois de plus l’ambition de la Chine de s’émanciper des technologies occidentales pour obtenir son autonomie. Cette volonté du gouvernement chinois se retrouve plus généralement dans la théorie de la « double circulation » (双循环) qui veut favoriser à l’intérieur un cycle de production et de consommation nationale et les exportations et du commerce international à l’extérieur.
PLAN QUINQUENNAL — Horizon 2030 pour les objectifs environnementaux
par Maxime Prunier
Alors qu’en septembre dernier le Président Xi Jinping avait engagé son pays sur la voie de la neutralité carbone en 2060, et le dépassement de son pic d'émission dès 2030, ce 14ème plan quinquennal revêtait une importance capitale pour se rapprocher de ces objectifs et envoyer un signal fort auprès de la communauté internationale et des investisseurs. Sur les vingt indicateurs économiques et sociaux présentés, quatre d’entre eux concernent l’environnement et devront être atteints d’ici 2025.
Le plan consacre la réduction de l’intensité carbone (soit le volume d'émissions de CO2 par unité de PIB) de 18%; ou encore l’obligation d’étendre la couverture forestière du pays à hauteur de 24,1% d’ici 2025, contre 23,2% en 2020. C’est également la première fois qu’un plan quinquennal évoque la possible mise en place d’un « plafond » des émissions carbone. Malgré son absence de la liste des vingt indicateurs questionnant son caractère contraignant, l’objectif d'augmenter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique national à 20% d’ici 2025 (15,8% en 2021) est également précisé.
La décarbonation de l’économie reste l’un des défis majeurs auquel sont confrontés les décideurs chinois. Le Draworld Environment Research Center estime ainsi qu’une croissance annuelle du PIB de 3,9% ne permettrait pas au pays de réduire ses émissions carbone. En l’absence de projection, le suivi rigoureux des indicateurs environnementaux fixés par ce plan s’avèrera donc capital. Or, pour rappel, le président chinois a un autre objectif en tête: le doublement du PIB par tête d’ici 2035.
PASSEPORT VACCINAL — Singapore Airlines adopte un passeport sanitaire aérien
par Blaise Merand
Depuis le lundi 15 mars, les passagers des vols Singapour-Londres opérés par Singapore Airlines (SIA) peuvent utiliser le nouveau passeport sanitaire numérique mis en place par la compagnie. Développé par l’Association Internationale du Transport Aérien (IATA) et Temasek, le fonds souverain singapourien, celui-ci permet aux passagers de prouver leur statut sanitaire et vaccinal à l’embarquement grâce à une application. L’objectif est de mettre fin à l’inflation administrative en vigueur depuis le début de la pandémie, avec une multiplication des documents nécessaires pour les vols internationaux : résultats de tests en anglais, autorisations d’entrée, factures de paiement de quarantaine, autorisations de transits pour les vols avec correspondance, etc. Pour le moment limitée aux voyageurs quittant Singapour , l’expérience pourrait s’étendre à terme à l’ensemble des vols de la compagnie et ne manquera pas d’enrichir les discussions en cours au niveau européen sur un “certificat digital vert”.
Annoncée dès décembre 2020, cette application doit permettre à Singapore Airlines de limiter les pertes pour l’année 2021. Malgré l’excellente situation sanitaire dans la cité-État (avec seulement 2 cas locaux détectés la semaine du 8 mars), la compagnie, qui ne dispose d’aucun marché national et s’appuie en grande partie sur les liaisons intercontinentales via son hub de Changi, a dû supprimer 4300 postes et renvoyer 2400 employés en 2020. L’introduction du Travel Pass fait partie d’un ensemble de mesures destinées à faciliter le retour de la clientèle, notamment business. L’aéroport de Changi a notamment inauguré mi-février un hôtel spécialtest-stay-work-meet, sorte de zone tampon permettant à des voyageurs d’affaires de rencontrer leurs collègues singapouriens dans des salles de réunions séparées en deux par une vitre étanche. SIA a également été la première compagnie à vacciner l’intégralité de son personnel de bord et de ses pilotes, ceux-ci ayant acquis le statut de frontline workers à Singapour.
La reprise du trafic aérien et des échanges économiques internationaux est d’autant plus cruciale que ceux-ci constituent une partie intégrante du discours politique autour de l’identité de Singapour, qui se conçoit depuis son indépendance comme un havre grand ouvert au commerce, aux échanges et à la mondialisation en général. Jusqu’ici assez réussi, ce pari a permis à un unique parti (People’s Action Party) de conserver le pouvoir depuis l’indépendance en 1965. Le Premier Ministre Lee Hsien Loong, au pouvoir depuis 2004, a ainsi dû repousser sa retraite politique pour tenter de limiter les dégâts, et a été contraint de reconnaître pour la première fois depuis l’indépendance le statut d’opposition parlementaire au Parti Travailliste après sa spectaculaire poussée aux élections générales de 2020.
ÉLECTIONS INDIENNES — Modi, le début de la fin ou des secousses sans conséquences ?
par Maveric Galmiche
En Inde, des élections législatives dans le Bengale, le Tamil Nadu, le Kerala, Pondichéry et l’Assam se tiendront entre le 27 mars et le 29 avril. Pour le parti au pouvoir, l’enjeu est énorme : mis à part l’Assam, tous ces États sont contrôlés par l’opposition et la désaffection des paysans indiens, effarouchés par la réforme du secteur agricole engagée par le gouvernement, pourrait avoir des répercussions importantes sur les votes. Ces élections s’annoncent comme un baromètre politique en Inde. Le Kerala et le Bengale sont en effet tous deux dirigés par des coalitions de gauche opposées au gouvernement et le Tamil Nadu par un parti régional. Ces trois États ont un poids économique et démographique conséquent et sont réputés pour être des foyers de contestation du BJP.
Depuis son élection en 2014, le Premier Ministre Narendra Modi a mené plusieurs politiques ayant vocation à favoriser la majorité hindoue : l’abolition du statut particulier conféré au Cachemire en août 2019 ou le Citizenship Act la même année , refusant l’accueil des minorités musulmanes étrangères), ont considérablement renforcé l’opposition. De nombreux observateurs, dont le spécialiste de l’Inde contemporaine Christophe Jaffrelot, évoquent ainsi un basculement vers un modèle de “démocratie ethnique”.
Cette détérioration des indicateurs démocratiques en Inde n’est pourtant pas nouvelle puisqu’en septembre dernier déjà, Amnesty International avait dû fermer ses bureaux indiens de Delhi et Bangalore. L’ONG se disait, en effet, victime d’un « harcèlement » des autorités. Depuis le 10 septembre, ses comptes bancaires avaient été gelés par une agence du gouvernement qui la soupçonnait de blanchiment d’argent.
Au début du mois de mars 2021, dans son rapport annuel sur les droits et libertés politiques dans le monde, ce fut au tour de l'organisation américaine à but non lucratif Freedom House de rétrograder l'Inde du statut de démocratie libre à celui de "démocratie partiellement libre" du fait des pressions accrues exercées sur les journalistes et sur les minorités, notamment musulmanes. L'Institut suédois V-Dema même été plus sévère encore dans son dernier rapport paru cette semaine, en déclarant que l'Inde était devenue une "autocratie électorale". De mauvaise augure pour le sommet UE-Inde prévu en mai prochain ?
POLITIQUE SPATIALE — Lune de miel, la Russie entre dans l’orbite de la Chine
par Guillaume Thibault
La Chine et la Russie ont officialisé leur collaboration dans le développement d’une base spatiale lunaire. L’accord a été signé par visioconférence le 9 mars dernier et annoncé par le chef de la China National Space Administration (CNSA) Zhang Kejian et son homologue russe Dmitry Rogozin, directeur général de l’agence spatiale Roscosmos. Baptisée International Lunar Research Station (ILRS), cette base lunaire fait écho au programme Artemis porté par la NASA visant à renvoyer l’Homme sur la Lune mais également au projet de l’Agence spatiale européenne de “Village Lunaire”.
Cette annonce sino-russe marque un tournant dans le jeu des puissances spatiales. Les États-Unis refusent depuis 2001 toute collaboration avec la Chine, accusée de détourner les technologies spatiales pour le développement de ses programmes de missiles balistiques intercontinentaux. Renforcée sous l’ère Obama, cette politique d’exclusion a interdit l’exportation de tout composant ou matériel spatial américain vers la Chine et a empêché sa participation à la Station Spatiale Internationale, en dépit d’un soutien européen et russe.
Malgré l’embargo américain, Pékin a accumulé les succès dans ses projets nationaux. Onze lancements pour la construction de sa propre station spatiale internationale, dont son module central, sont prévus pour 2021. Sa mission de retour d’échantillon lunaire Chang’e-5 (嫦娥五号) a été menée avec succès fin 2020, une première depuis les missions américaines et soviétiques des années 1970. Quant à son programme d’exploration martienne, la sonde Tianwen-1 (天问一号) lancée en juillet 2020 est entrée en orbite de la planète rouge début février et devrait atterrir avant juin 2021.
En s’associant avec la Chine, la Russie peut donc se remettre à rêver de grands projets et tourner le dos aux États-Unis qui leur sont de plus en plus hostiles depuis la crise ukrainienne de 2014. Si l’administration américaine n’a pas réagi à l’annonce conjointe, les propos de Joe Biden qualifiant Vladimir Poutine de “tueur” jettent un froid digne de l’espace extra-atmosphérique sur la relation bilatérale — Moscou s’est empressé de rappeler son ambassadeur dans son orbite — et achèveront de sceller l’alliance sino-russe. La course à l'espace revêt ainsi ses vieux oripeaux de compétition géopolitique.
JAPON — La Diète vote un budget en surpoids
par Eldar Tentchourine
La Diète japonaise a approuvé en mars un budget record de près de 106 trillions de yens (850 milliards d’euros) pour l’année fiscale 2021 débutant le 1er avril. Marquant la neuvième année de hausses ininterrompues, ce budget initial de près de 20% du PIB est en augmentation de +3,8% par rapport à 2020 (820 milliards €). À première vue, il s'agit d'un montant sans surprise dans un contexte où la recherche de la reprise économique gonfle les budgets étatiques.
En ce sens, on retrouve dans le budget japonais à la fois un instrument classique de programme de prêts aux entreprises (multiplié par 5 par rapport à 2020 pour le soutien à la trésorerie), mais également un instrument budgétaire davantage nippo-japonais: un fonds de réserves de 5 000 milliards de yens (40 milliards d’euros). Généralement utilisées pour les dépenses d'urgence (COVID, soutien aux PME), les réserves ont pour particularité de pouvoir être mobilisées à la discrétion du gouvernement (sans approbation parlementaire).
Cependant, toute la subtilité de ce budget réside son véritable montant. Car il faut en réalité ajouter à ces dépenses la plupart de celles engagées par le troisième plan d'urgence pour 2020. Contrairement à ce que son nom indique, ce plan d'urgence prévoit ainsi des dépenses structurelles centrées sur les réformes phares de décarbonation et de digitalisation du premier ministre Suga. Cette séparation des dépenses permet d'avancer dans le temps ces réformes structurelles promises au public afin d'en avoir les premiers résultats d'ici l'élection de cette année. Elle permet aussi de limiter la taille du budget initial, celui réellement scruté par les médias et le public.
Il faut noter que la pratique du collectif budgétaire n'est pas nouvelle, où on compte neuf budgets supplémentaires depuis l'administration Abe et 46 au total depuis 1990. Ce n'est pas non plus une exception japonaise, comme le montrent les lois de finances rectificatives en France. Cela étant, même si l'on compare le collectif budgétaire actuel avec celui de 2019-2020, on obtient une hausse de 17,8%. Un possible moteur de croissance ? Peut-être. Mais également un challenge supplémentaire pour un gouvernement gardant l'ambition d'un excédent budgétaire dès 2025.
IN CASE YOU MISSED IT
Le marché des cosmétiques chinois est-il encore un eldorado pour les marques étrangères, en témoignent les ventes en hausse de 24% de L’Oréal en 2020, ou de nouveaux acteurs locaux peuvent-ils venir les concurrencer et souffler un vent d’innovation ? Éléments de réponses et analyse des tendances actuelles (China Tech Blog).
Le futur de la presse en ligne se joue en Australie (voir notre dernière édition). Le duel oppose Google et Facebook à Rupert Murdoch. Après avoir coupé tous les articles sur sa plateforme en Australie, Facebook a finalement trouvé un accord avec News Corp pour les trois prochaines années, quelques semaines après Google (FT).
L’iPhone 12 sera produit en Inde. Entre 7 et 10% de la production sera ainsi relocalisée hors de Chine (Nikkei) alors que le découplage sino-américain pousse les producteurs à se diversifier vers l’Inde et le Vietnam. L’inflation salariale en Chine doit également être prise en compte dans cette décision (TechCrunch).
Apple entend renforcer le respect de la vie privée sur ses appareils iPhone pour rendre obligatoire le consentement à l’aspiration des données personnelles (FT). Cette initiative n’est pas au goût de nombreuses sociétés de la tech, dont Tencent et ByteDance (TikTok) qui ont créé un système de contournement prénommé CAID et qui pose des questions quant aux relations futures d’Apple avec Pékin (Exchangewire).
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